expo second life



Hall Miro', Maison de l'UNESCO. Paris Septembre 2014
Espace G2L, Erriadh, Djerba. Septembre 2014
Galerie Kalyste. Mai 2014
Palais Kheireddine. Avril 2014 (hommage à Guernica)
Galerie Médina. Novembre 2013







 



Entretien  avec le photographe plasticien Slim Gomri
Second life  ou  la prodigieuse puissance  de l’Art
Slim Gomri est un passionné de l’art. Il n’y a pas d’exposition que se tient dans le grand Tunis qui ne mobilise son attention et l’invite à découvrir de plus près l’artiste et son œuvre, et à recueillir, à la faveur des vernissages,la réaction de collectionneurs ou le témoignage des critiques d’art. La galerie d’art est un passage obligé pour l’éternel apprenant qu’il est, car c’est là qu’il se frotte aux différentes tendances des plasticiens tunisiens ou étrangers ou qu’il mesure leurs subtiles trouvailles esthétiques.
Connu comme photographe artiste, il ne s’applique pas seulement à innover son style ou élargir son champ imaginaire. Il réfléchit surtout sur la signification de son art au point d’emprunter des voies audacieuses qui bouleversent les frontières entre les genres artistiques, voire entre des domaines aussi distincts que l’art, la botanique ou encore l’industrie. C’est d’ailleurs autour de cette problématique que s’articule sa nouvelle exposition qui se tient à la Galerie la Médina.
-          Comment êtes-vous arrivé à l’art ?
-          Je me suis toujours intéressé à l’art en général et à la photographie en particulier. J’ai suivi peut-être les traces de mon père qui, tout en étant ingénieur en hydrocarbures, avait cultivé une vive passion pour la photo.  Mais dés le départ, je n’avais guère de penchant pour la photo destinée à enrichir l’album de famille. Ce qui avait toujours nourri mon intérêt pour cet art, c’est la dimension formelle et esthétique. Sans doute, sous l’influence des photographes de renommée internationale dont les travaux sont publiés dans les revues spécialisées, j’ai commencé à être attentif au contraste entre l’ombre et la lumière, à la configuration sans cesse modulée que prennent les paysages dans la Tunisie rurale ou les vieux édifices dans le milieu urbain ou  dans les zones industrielles.
Au fil des ans, j’ai pu constituerune banque d’images, si bien qu’à la faveur d’un stage que j’ai effectué aux Etats-Unis en 2007, il m’a semblé opportun de proposer à notre attaché culturel à Washington d’organiser une exposition au siège même de notre ambassade.
C’était la première fois que j’ai eu l’audace d’affronter le public et de soumettre mes photos à une évaluation critique.

-          D’habitude, un artiste commence timidement sa carrière dans son propre pays, avant de voir son œuvre consacrée sous d’autres cieux. Chez vous, c’est à l’inverse que nous assistons.
-          C’est vrai, mais sans aucune prétention ou ambition démesurée de ma part. Peut-être parce que la motivation qui avait présidé à cette initiative n’était pas dictée par l’intention de montrer le talent d’un artiste ou l’originalité d’une approche artistique. Mon projet était nettement modeste : tenter de montrer au public américain une image de la Tunisie à travers ses paysages, son architecture et ses hommes. Autrement dit, mon projet n’était nullement de m’exhiber sous les traits d’un artiste photographe, mais de dire l’homme tunisien que je suis à travers ces photos. C’était en quelque sorte ma carte d’identité. Cette expérience était d’autant plus intéressante qu’elle m’a poussé à réfléchir longuement sur la fonction et la vocation de l’art photographique, autant par rapport à son statut de médium que par ses implications artistiques et intellectuelles.

-          Faut-il dire que c’est l’expérience américaine qui a donné le déclic à votre itinéraire artistique ?
-          Il m’est difficile de répondre directement à cette question, en tout cas, à la faveur de mon séjour en Amérique, j’ai eu l’opportunité de circuler dans quelques États et de capter des émotions personnelles face à une civilisation qui fascine, autant qu’elle intrigue. Car ce qui attire particulièrement l’attention aux États Unis, c’est ce mélange de modernité technologique et de fraîcheur primitive, ou encore de puissance et de simplicité. Donc, j’ai vécu pendant quelques mois dans un état d’euphorie artistique qui m’a poussé à réaliser un nombre impressionnant de photos. « La chasse d’images» était d’autant plus bonne qu’aussitôt retourné à Tunis, j’ai décidé d’organiser une exposition, avec le soutien de l’AMIDEAST, fin 2007.

-          Il y a là comme un jeu de symétrie entre les deux expositions : montrer la Tunisie à Washington et montrer l’Amérique à Tunis.
-          Tout à fait, et de surcroît, autour des mêmes motifs : les paysages, l’architecture et les hommes. Cependant, si cette symétrie épouse la forme d’un dialogue entre deux pays, entre deux nations, ou encore entre moi et l’autre, elle ne s’inscrit pas pour autant dans la logique d’une quelconque comparaison entre les deux pays ou les deux civilisations. Le but me semble-t-il (cela est important pour l’artiste photographe que je suis) est de libérer le photographe de son nombrilisme et de le conduire à dégager de la superposition de deux expériences des règles visuelles qui transcendent les frontières et les différences.

-          Qu’appellez-vous« règles visuelles » ?
-          Vous savez, dans son versant artistique, la photographie ne doit pas se réduire à enregistrer le monde tel qu’il est dans sa dimension réaliste, documentariste, voire naturaliste. L’ambition est de transfigurer le réel, c’est-à-dire l’encadrer ou de le cerner autrement, afin d’en saisir le sens caché des choses. Autrement dit, le but escompté est de s’écarter du figuratif pour s’acheminer vers le champ de l’abstrait.   C’est ce que j’ai entrepris dans une nouvelle expérience focalisée cette fois-ci sur les objets de l’artisanat. L’objectif de cette expérience est de transcender la fonction domestique ou décorative de l’objet afin d’en explorer, par l’effet du grossissement du détail, la texture, les modulations chromatiques ou encore les particularités du relief du matériau de sa fabrication, de l’argile, du bois ou du métal. Cette expérience a fait l’objet d’une exposition à la galerie Essaadi, à Carthage en 2008.

-          Alors il y a là un cheminement qui va de la représentation réaliste de l’objet à sa transfiguration visuelle. Peut-on dire alors qu’il s’agit là d’un principe, ou d’une règle visuelle, pour reprendre votre expression, qui préside quasiment à l’ensemble de votre travail, et d’une manière plus accusée dans la dernière exposition « Second Life ».
-          On pourrait, si vous voulez bien, le résumer ainsi. En effet, cette démarche était pour moi l’aboutissement d’un tâtonnement qui m’a accompagné depuis plusieurs années, mais dont je ne peux prétendre détenir toutes les implications techniques, artistiques et encore moins théoriques. J’étais plutôt guidé par mon intuition, et comme d’habitude, c’est l’empirisme qui secrète la loi, et non le contraire.

-          En parcourant les œuvres de cette nouvelle exposition, on constate sans difficulté que la photo a disparu et avec elle les traces du photographe. Le support c’est de la tôle ou de l’acier. Si bien qu’il y a dans cette  trajectoire un passage de la souplesse du papier à la rigidité du métal. Peut-on alors parler de rupture avec les expériences antérieures ?
-          Pas exactement. Car, paradoxalement, la photo est au cœur de ces œuvres d’acier. D’ailleurs si on remonte dans l’histoire de la photographie, les premières prises photographiques ne se faisaient-elles pas sur des supports rigides tels que le cuivre(*) puis les plaques de verre ?donc pour revenir à votre question, je dirais même, au commencement de cette expérience, il y avait la photo, ou plus précisément il y avait une réflexion sur les techniques de la photographie en association avec mes projets.
Il y avait en gros trois étapes qu’il fallait suivre, avant d’aboutir à ce résultat. D’abord, l’embryon de cette gestation est le philodendron, un arbuste que j’apprécie beaucoup pour l’avoir accueilli dans mon espace intérieur où il trône majestueusement dans un angle fort éclairé. Cela fait des années que je photographie cette plante, et suis le mouvement de ses racines aériennes qui se déploient dans toutes les directions, à la recherche de la moindre trace d’humidité et des sels minéraux. Ses feuillages s’abandonnent à une délicate mollesse que ponctuent des formes dentelées, perforées… Les photos que je prends de ses feuilles n’ont pas une valeur intrinsèque, puisqu’elles relèvent d’un réalisme creux. Mais c’est une étape importante dans ma démarche.
J’ai procédé ensuite à un tirage en noir et blanc de ces clichés où les tons de gris sont sacrifiés, éliminés. Le résultat obtenu : un espace noir, ponctué, tel un fromage Emmental, d’îlots blancs. Dans cette configuration, se brouille la distinction entre  le plein et le vide, l’intérieur et l’extérieur, la substance et l’écorce.
Puis vient la troisième étape, celle qui consiste à passer au support métallique, via des logiciels informatiques de dessin, compatibles avec les machines industrielles. Ceci se traduit par l’exécution d’une découpe précise de la tôle brute et érodée.

-          Donc vous procédez de la même manière qu’un artisan inventif et rénovateur
-          Non, c’est loin de l’artisanat. Mon approche a plutôt une certaine parenté avec le domaine de l’industrie. Cela est d’autant plus important que le but  de l’expérience consiste à amener l’artistique dans l’univers de l’usine, des machines et de la fabrication mécanique. Oui, ces œuvres ont été élaborées en partie dans une usine, avec des machines et des ouvriers. Il en résulte une confrontation intéressante et subtile entre le trait (filigrane) et le métal (lourd), entre le monde industriel et l’univers artistique, entre le vivant (plante) et l’inerte (métal), entre le figuratif et l’abstrait.

-          Mais il y a toutefois deux traits au moins qui démarquent ces œuvres de la production industrielle : d’un côté, ces œuvres sont uniques et ne s’inscrivent pas dans la stratégie de la production en série. De l’autre, elles gardent leurs traces de produit de récupération.
-          Tout à fait, car mon objectif est de garder visible et palpable l’effet du temps sur la plaque d’acier. Autrement dit, la présence des traces de rouille ou d’oxydation sur ces œuvres a une signification majeure. Elle montre tout l’intérêt que nous avons à travailler sur une matière qui a une histoire,une mémoire et une vie antérieure. Puis, grâce à la prodigieuse puissance de l’art, ce matériau reprend vie, renaît de ses cendres et retrouve une seconde vie. D’où le titre de l’exposition   « Second Life ». 

Entretien conduit par Kamel Ben Ouanès, Universitaire et critique de cinéma
(*)Le daguerréotype : ce procédé photographique expérimenté par Daguerre (artiste Français. 1787-1851) et mis au point en collaboration avec Niepce (Scientifique, inventeur Français. 1765-1833), utilise un support solide, généralement une plaque en cuivre, recouverte d'une couche d'argent.
 

No comments: